Ce vendredi 13 novembre, je pars chercher ma sœur à la gare. Elle arrive de Paris pour passer le week-end à Grenoble. Au retour, nous prenons le tram, ligne B, direction Université. Comme toujours à cette heure de pointe le tram est envahi par les étudiants qui sortent du campus. Bientôt, un flot de musique arabe, du raï, envahit la rame, réveille nos corps engourdis. Un jeune éphèbe vient de faire son entrée, il est torse nu, un bandeau vert pistache savamment noué autour de la tête, une bouteille de Vodka dans une main et une immense radio-cd sur l’épaule. Il se présente : Rambo-le-faiseur-d’ambiance, pour vous servir ! Il ne fait pas la manche et n’a rien d’un ivrogne malgré la bouteille d’alcool qui le maintient au chaud, il veut juste partager avec nous son amour de la musique et sa joie de vivre. Il a le vin joyeux. Son sourire juvénile contraste avec la lascivité de son corps mince et musclé qui ondule au rythme de la musique. Une musique festive qu’il nous offre gratis. Il a la beauté féline d’un Brando, version maghrébine, dans un tramway nommé désir. Il y a aussi chez lui du Omar Khayyam, ce poète persan qui célébrait l’amour, le vin et la musique : « Fais-moi de la musique et donne-moi du vin » tout ce que les intégristes musulmans de l’époque détestaient. Je pense à cet instant que plus de mille ans après Omar Khayyam, ces mêmes intégristes sont toujours là qui interdisent et détruisent la musique, l’amour, le vin, la fête, la vie en somme, et que ce jeune éphèbe, à sa façon, leur répond par un joli pied de nez. Les jeunes étudiants semblent le connaître et lui adressent des sourires complices, des encouragements chaleureux. Même les contrôleurs lui font place. Il y a dans son sourire ravageur et chaleureux une grâce enfantine qui ne laisse personne indifférent. Excepté bien sûr quelques costumes-cravates qui le regardent méchamment, sans doute jaloux de ses pectoraux et de sa jeunesse flamboyante. Quelques dames bigotes, aussi, emmitouflées dans leurs beaux manteaux, qui semblent outragées de sa demi-nudité de sauvage.

En le regardant, je ressens soudain, je ne sais pas pourquoi, une espèce de soulagement, comme une bouffée d’espoir. Je me dis que celui-là ne risque pas d’être embrigadé dans les rangs de Daech, comme ces nombreux jeunes qui ont succombé à l’appel irrésistible de la Syrie. Il est bien trop fou, mais d’une bonne et douce folie, celle qui dit oui à la vie, celle qui se fout des apparences et des convenances. Fou, oui certainement, mais de musique et de beauté. Merci Rambo !

Personne dans ce tram ne se doute alors de la tragédie qui va se jouer à Paris à peine quelques heures plus tard.

 « Prendre un tramway nommé désir et changer à la station Cimetière ».

 Tard dans la soirée, j’apprends la nouvelle par mon fils qui est parti regarder le match de foot France-Allemagne avec des copains. J’allume la télé et je découvre l’horreur. Carnage autour du stade de France, carnage au Bataclan, carnage rue de charronne, boulevard voltaire, toutes ces rues où j’ai traîné mes vingt ans, ces terrasses de café où nous aimions nous attarder autour d’un panaché. J’appelle mes neveux, mes amis, qui heureusement ne se trouvaient pas sur les lieux mais qui auraient pu s’y trouver.

 Nous passons le week-end devant la télé qui diffuse en boucle les images des attentats. Nous sommes complètement hébétés.

 Lundi après avoir raccompagné ma sœur à la gare, je décide de revenir à pied en traversant le campus. Besoin de me délester de cet engourdissement du week-end, besoin surtout de revoir tous ces jeunes qui faisaient foule, riaient, blaguaient, simplement heureux d’être ensemble et vivants. Quelle belle réponse donnée à ceux qui n’aiment pas la vie ! L’automne ne m’a jamais semblé aussi éclatant de couleurs, de lumière et de douceur, contrastant violemment avec la cruauté de ces hommes kamikazes.

Que faire ? Rester cloîtrés chez soi ? C’est ce qu'ils voudraient ces salauds, alors ne leur donnons pas ce plaisir. Aimons, rions, profitons de chaque instant même avec la peur au ventre, même avec cette infinie tristesse pour toute cette jeunesse tombée sous leurs balles de lâches ! C’est Rambo-le-faiseur-d’ambiance qui a raison, chantons, dansons la vie encore plus fort dans toutes les rues de France, dans les métros et les tramways, aux terrasses de café, ensemble, plus unis et solidaires que jamais.

Hommage à la mémoire de toutes les victimes et soutien solidaire et fraternel à tous leurs proches.

 

Ouiz.A

 

 

 

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